Les lecteurs de Monda Solidareco se souviennent sans doute de l'intérêt porté, dans les années 1990, par notre mutuelle à cette petite algue aux qualités nutritives exceptionnelles.
Cette algue bleue microscopique de la famille des Cyanophycées qui se développe à l'état naturel dans certains lacs aux eaux saumâtres et alcalines au Mexique au Tchad ou dans d'autres régions d'Afrique d'Asie ou d'Amérique Latine contient 70% de protéines, 15% en moyenne de glucides, 5% de fibres et des minéraux (calcium, phosphore, potassium, sodium, magnésium, fer) du bétacarotène des acides gras non saturés, etc..
Les Aztèques se nourrissaient déjà de cette algue, et, autour du lac Tchad, les populations qui la consomment en galettes séchées, ne présentent que très peu de pathologies dues à la malnutrition.
C'est par l'association A.C.M.A. (association pour combattre la malnutrition par l'algoculture) que nous avons eu les premières informations sur les moyens de production de cette algue dans des fermes d'algoculture, et nous avons apporté notre soutien financier aux recherches du docteur Ripley Fox, algologue fondateur d'A.C.M.A.
De nombreux rapports et thèses (dont la thèse du docteur Patricia Bucaille) attestent des bienfaits de cette algue employée dans la lutte pour la survie des enfants atteints de malnutrition grave. En 1990, aux cotés d'A.C.M.A et de l'association T.E.CH.N.A.P. nous avons cofinancé au Chili, dans le désert d'Atacama, une ferme d'algoculture pilote dirigée par l'algologue Francisco Ayala et nous sommes intervenus également avec T.E.CH.N.A.P. pour financer le projet élaboré par le docteur Bruno Miteyo Nyenge " Sauver 1.000 enfants par an au Zaïre ".
Depuis lors, hélas, les destructions produites par deux guerres successives ont largement entamé les capacités de production de cette ferme du Sud Kivu.
Qu'en est-il en 2003 des recherches, de la production et de l'utilisation de la spiruline ?
Au mois de juillet 2002, nous avons rencontré Denise et Ripley Fox dans leur mas laboratoire de La Roquette dans l'Hérault (France).
Bien que retraité, le docteur Ripley Fox étudie toujours les possibilités de nouvelles souches " mutantes " de spiruline. Aujourd'hui, l'association A.C.M.A. n'existe plus mais des scientifiques, des membres d'associations humanitaires ou des associations comme T.E.CH.N.A.P. s'intéressent toujours à la production et à l'utilisation de cette algue bien qu'elle ne soit toujours pas reconnue d'utilité publique par l'Organisation Mondiale de la Santé.
Avec l'aide du sénateur Durand-Chatel, ancien directeur de Texcoco ( production intensive de spiruline au Mexique) et d'un ami italien, Ripley Fox vient de créer un institut international de la spiruline qui délivre désormais un diplôme d'algoculture.
Pour ce qui est des cultures semi-intensives ou extensives, le séchage, même par procédé solaire, revient très cher et les essais de séchage par mélange avec des céréales semblent ouvrir une piste intéressante car plus économique.
A l'état de biomasse, la spiruline est mélangée à raison d'un volume de biomasse à 80 % d'humidité pour dix volumes de céréales précuites. On obtient ainsi une sorte de pain à 4 % seulement d'humidité. Dans le cas d'une utilisation proche des lieux de production, cette technique pourrait remplacer le conditionnement en gélules, plus onéreux et qui tend à ranger la spiruline dans la catégorie des médicaments, ce qu'elle n'est en aucun cas.
A Mialet, dans le Gard, Jean-Paul Jourdan, ingénieur chimiste et algologue que nous connaissons bien pour l'avoir reçu à notre Conseil d'Administration, s'est spécialisé maintenant dans l'exploitation familiale de l'algue spiruline. Avec des moyens très modestes (cultures dans des bassines, brassage manuel, etc..) et à condition d'être bien documenté sur l'utilisation des engrais, le degré d'acidité et de salinité, etc.. de la culture, on peut, pour améliorer des conditions alimentaires très précaires, obtenir si les conditions climatiques le permettent, une production familiale de spiruline intéressante.
Sur ce sujet, Jean-Paul Jourdan a écrit un livre : " Cultivez votre spiruline " qui est distribué par l'association Anthéna Technologie.
Actuellement, la production mondiale annuelle de cette algue est d'environ 3.000 tonnes. Pour faire face à la malnutrition mondiale on estime qu'il faudrait en produire 110.000 tonnes, ce qui utiliserait une surface de 3.000 hectares.. C'est beaucoup. Par ailleurs, la quantité d'eau nécessaire pose un gros problème car l'eau manque déjà pour l'agriculture traditionnelle. On pourrait peut-être résoudre ce problème de l'eau par l'algoculture en eau de mer. Des essais dans ce sens existent et des techniques s'élaborent par exemple celles d'une production intensive dans des fermes géantes en eau de mer.
Ripley Fox imagine 25 fermes de 120 hectares chacune qui pourraient être gérées par un organisme international non gouvernemental dont l'investissement initial serait financé via l'O.N.U. par des gouvernements.
Deux concepts de technologies très élaborées sont prévus pour l'installation de ces fermes géantes.
Le premier concept ferait appel à une fourniture gratuite du CO2 par les usines polluantes qui sont soumises à des règles écologiques et pourraient ainsi valoriser leurs déchets de CO2. Cela constituerait une économie substantielle pour ces fermes tout en assurant la dépollution des usines.
Chaque ferme étant composée de 12 unités de 10 hectares, le brassage dans les bassins serait pratiqué à l'aide de roues à aubes flottantes dont l'énergie serait fournie par une turbine thermoélectrique utilisant le différentiel de température entre le fond et la surface de l'eau et le séchage solaire est prévu dans des tubes de 2 mètres de diamètre et de 455 mètres de long comprenant à l'intérieur des courroies transporteuses.
Le second concept est basé sur le même principe de construction et de fonctionnement mais le CO2 serait produit sur place, ce qui est plus onéreux.
Bien entendu à l'heure actuelle, ces propositions restent du domaine d'un futur fort incertain.. surtout si l'on considère le peu de solidarité intergouvernementale pratiquée de nos jours. Toutefois, des essais de culture en eau de mer de dimensions plus restreintes existent actuellement et nous aurons sans doute dans l'avenir d'autres informations sur ces nouvelles techniques de production.
Pour plus d'information sur les fermes géantes en eau de mer, on peut se procurer le livre de Ripley Fox " SPIRULINE TECHNIQUE PRATIQUE et PROMESSE " édité par EDISUD (SARL Edisud, La Calade, RN 7, 3120 route d'Avignon, 13090 Aix en Provence).
L'algue spiruline, c'est vrai, est un magnifique reconstituant alimentaire, mais étant donné son coût de production, il est certain que pour pouvoir l'utiliser au maximum dans la lutte contre la malnutrition infantile, la solidarité collective et internationale devra se mobiliser et ce problème là n'est pas technique. Il est humanitaire et politique..
B. Muet.
Janvier 2003