Solidarité Mondiale contre la Faim

    › BAFANA BAFANA

    Le G.A.P. Bafana Bafana

    93.02.TG

     

    Culture attelée et agriculture

    " Abatchang ". Terme du voyage de migrants forcés, venus du nord, que le colonisateur allemand destinait à Abidjan, en Côte d'Ivoire, au début du 20ème siècle, et qui ont été abandonnés dans ce coin de brousse togolaise quand le colonisateur français a pris la " relève " du précédent. A l'image du peuplement de ces régions de savanes, toujours alimenté par les migrations de populations en quête de nourriture, de sécurité. A l'image d'une grande partie de l'Afrique sub-saharienne…

    Kabyè, Kotokoli, Losso : autant de langues, autant de cultures et de traditions qui forment une mosaïque étonnante dans ce village d'Abatchang, accessible par une piste carrossable de 9 km vers l'est à partir de Lama Dessi à 18 km au sud de Sokodé, chef-lieu de la préfecture de Tchaoudjo en Région Centrale. Si on ajoute qu'à cette variété culturelle se superpose celle des trois religions animiste, chrétienne et musulmane, on mesurera la richesse humaine qui contraste singulièrement avec la pauvreté économique de tous.

    La région.

    Situé sur un plateau à 320 m d'altitude environ, Abatchang n'est traversé par aucune rivière permanente, bien que participant du bassin du fleuve Mono, dont les affluents Na et Aou s'écoulent à égale distance du village, environ 10 à 12 km, respectivement au nord et au sud. La Région Centrale couvre près du quart de la superficie du Togo. Le couvert végétal est constitué essentiellement de savanes herbeuses, arbustives et arborées comme à Abatchang, avec des îlots forestiers localisés sur les massifs collinaires ou des forêts galeries le long des cours d'eau. Les sols sont constitués sur une profondeur variable des produits d'altération de roches de base acides : granit, gneiss, micaschiste. Privés de leur ancienne couverture forestière humifère, ces sols lessivés subissent une ferralitisation et, localement, une ferruginisation hydromorphique qui aboutissent à la formation d'une croûte latéritique dure extrêmement difficile à cultiver et pauvre en substances nutritives ou organiques. L'alternance d'une saison des pluies d'avril à octobre et une saison sèche très dure de novembre à mars caractérisent le climat soudano-guinéen de cette région soumise " en hiver " au froid de l'harmattan. Les précipitations annuelles varient de 800 à 1.300 mm. La nappe phréatique est à 8 m de la surface du sol. Un projet de retenue d'eau est en recherche de financement depuis de nombreuses années…

    L'unique route importante est l'axe sud-nord Lomé-Dapaong qui passe à Lama-Dessi. Abatchang est le siège d'un important marché. D'autres se tiennent à Lama-Dessi, Kasséna et Yara-Kabyè dans un rayon de 15 km. Le téléphone n'est accessible qu'à Sokodé. Pas d'eau courante, mais un puits à ciel ouvert (non protégé) appartenant au groupement et en libre accès pour la communauté villageoise (500 habitants). Pas d'électricité. Un dispensaire aux moyens insuffisants existe à Lama Dessi, mais les soins de santé sont le plus souvent trop coûteux pour les paysans. Une école primaire fonctionne à proximité du groupement et un CEG à Lama Dessi. Cependant le taux de scolarisation n'excède pas 8 % à cause de l'insuffisance des revenus des parents. A peine 1 % des filles fréquentent l'école.

    La densité de population de la Région Centrale est globalement faible : 21 hab/km². Les Kotokoli sont les propriétaires du foncier et les Kabyè et Losso sont des émigrants des préfectures de la Kozah et de Doufelgou, plus au nord. La polygamie est fréquente et l'accroissement de la population très élevé (+ 5,5 % contre 2,7 % pour l'ensemble du Togo). La population des moins de vingt ans représente près de 45 % de la population. Cependant les jeunes se marient moins du fait des conditions socio-économiques trop défavorables pour leur permettre d'assumer leurs responsabilités familiales. Le nombre moyen d'enfants par famille est de 12. L'habitat traditionnel est constitué de maisons en banco couvertes de paille.

    La mortalité infantile est très élevée et les principales maladies responsables sont, comme dans beaucoup de régions tropicales, les parasitoses intestinales en grande partie liées à une hygiène insuffisante, les dysenteries, les complications aiguës liées au paludisme endémique (anémie etc.…). La malnutrition infantile est une règle générale, tant du fait de l'insuffisance des ressources que de celui d'une mauvaise utilisation des ressources existantes. La malnutrition est aussi le lot des adultes.

    Essentiellement rurale (73 % de sa population totale), la Région Centrale compte 37.500 exploitations de 2 à 5 ha. Du fait de la faible densité de population, l'agriculture itinérante y domine avec défrichement par feux de brousse et travail du sol à la houe. Mais l'accroissement démographique rapide pousse la population rurale à se tourner vers une agriculture plus intensifiée et permanente. Ainsi la durée de la jachère se réduit : de 15 à 30 ans, elle est passée à 4 ans. Ajouté à la déforestation (elle-même aggravée par l'exploitation de moins en moins raisonnée du bois de chauffe), ceci entraîne une dégradation du sol dont les effets néfastes sont accentués par l'irrégularité croissante de la saison des pluies. Les engrais minéraux, outre qu'ils sont excessivement coûteux, ne suffisent pas au maintien de la fertilité des terres, alors que l'utilisation des engrais organiques est peu connue et que les feux de brousse interdisent les jachères intensifiées avec engrais verts. La production porte sur les cultures vivrières (mil, maïs, sorgho pour les céréales ; igname, manioc pour les tubercules féculents ; haricot pour les légumineuses), et l'élevage de case des volailles et petits ruminants. 85 % des récoltes sont autoconsommées, 10 % sont perdues.

    Le revenu moyen des familles était estimé en 1993 de 36.000 F CFA par mois dont 65 % était consacré à l'alimentation, 15 % à l'habillement, 7 % à la scolarité et 13 % aux transports, à l'hygiène et à l'éclairage. A titre de repères, signalons que 1 kg de riz blanc coûtait 150 F CFA, 1 litre de pétrole lampant 135 F CFA, 1 savon de 10 grammes 100 F CFA. Un repas normal en campagne revenait à 200 F CFA pour un enfant, 500 F CFA pour un adulte : pâte de sorgho ou de maïs, petits poissons, gombo (légume vert), riz occasionnellement. Jamais de lait pour les enfants : il n'y en a pas.

    Le groupement

    Le groupement Bafana Bafana, initialement baptisé Groupement Agropastoral d'Abatchang, s'est créé en 1987 avec un effectif de départ de 7 membres (5 hommes, 2 femmes). Il compte depuis 1993 17 membres (9 hommes, 8 femmes) dont 7 sont adhérents du Fonds Mondial. Il dispose d'un site de près de 60 ha sur lequel il cultive le maïs, le manioc, le niébé, le soja, le sorgho et, plus récemment, le riz pluvial à quoi s'ajoute une bananeraie expérimentale. Il élève des moutons et des volailles. Compte-tenu de son importance au sein de la communauté villageoise, il a l'ambition de devenir le moteur du développement économique et social de cette dernière. Pour cela, il a choisi d'une part de devenir un centre pilote en matière d'élevage écologique et de formation technique à l'agro-écologie et de créer, par ses activités agro-pastorales, des emplois pour le milieu.

     

    Le projet

    Le moyen retenu par Bafana Bafana est la mise en place d'un élevage de reproducteurs de bśufs de trait. Les fonctions assignées à cet élevage sont diverses :

    fournir à la paysannerie locale des bśufs de trait de qualité selon une procédure de crédit abordable,
    accompagner le passage de la culture manuelle à la culture attelée par la formation des agriculteurs et des bouviers,
    réduire le coût des équipements de culture attelée en élargissant la demande de la clientèle paysanne,
    initier et vulgariser des techniques de fertilisation fondées sur l'utilisation du compost de fumier de ferme pour améliorer et maintenir la qualité structurale du sol et réduire les achats de fertilisants minéraux,
    approvisionner le marché de boucherie citadine avec les animaux réformés.
    Le président de Bafana Bafana, Dermane Assoumanou, a pris contact avec le Fonds Mondial en février 1993 par le truchement de l'ATODOP (à cette époque GTODAP) en vue du financement de ce projet. La mise au point du projet a fait l'objet de nombreuses correspondances jusqu'en mars 1994, date de la signature du contrat de solidarité, conforté par un avenant en novembre 1994.

    Les résultats

    Nos deux visites en 1995 et 2000 ont confirmé que le projet était très correctement mis en place et se développait sûrement. Plus lentement cependant que l'avaient escompté nos partenaires parce que, ici comme ailleurs, des aléas se sont imposés : une hospitalisation du président qu'il a bien fallu financer sur les ressources du groupement, un vol de 3 animaux qui n'ont pas été retrouvés. Aujourd'hui, l'élevage compte 14 animaux, à parité égale pour les deux sexes. Deux mâles ont été castrés et servent d'animaux de trait pour le groupement lui-même. L'effectif final devrait être atteint en 2001.

    Grâce à l'attelage de trait, Bafana Bafana a pu étendre sa surface cultivée et le groupement fait de substantielles économies d'intrants grâce au compostage des déjections, tout en améliorant la fertilité structurale du sol. Piloté par l'ATODOP, le groupement introduit des techniques innovantes comme la culture de pois d'Angol sous maïs pour apporter de l'azote organique. Ces techniques sont diffusées auprès des autres groupements du canton et Dermane Assoumanou assure la formation des cultivateurs à l'élevage des bśufs de trait et à la culture attelée. Avec Bafana Bafana nous avons un nouvel exemple de projet à retombées multiples dont les effets vont bien au-delà de l'augmentation factuelle de la productivité du groupement et dont l'évaluation ne peut pas être strictement quantitative.

    Le contrat

    Le contrat trilatéral (Bafana Bafana / Fonds Mondial / ATODOP) porte sur le financement de l'acquisition de 10 génisses et un taurillon auprès du Centre de Recherche d'Elevage d'Avétonou (CREAT, comme dans la cas du groupement Mawuena, cf Monda Solidareco n° 65), la construction d'une étable, la clôture d'un parc d'élevage de 0,5 ha, l'équipement d'un puits pour l'abreuvage. Un avenant a été nécessaire pour compenser les effets de la hausse des prix des fournitures utiles consécutives à la dévaluation du Franc CFA en janvier 1994 et ajouter la construction d'une cabane de gardiennage. Il prévoit en outre le suivi technique de l'ATODOP pendant la durée de la mise en place du projet.

    Le montant total atteint 5.007.885F CFA, soit 7.634 EUR répartis en 75 % de subvention et 25 % d'un prêt sans intérêt remboursable en 3 annuités à partir de la deuxième année de production. Le financement a été réalisé en deux tranches : mars et juillet 1994, et celui de l'avenant en novembre 1994. Le groupement apportait de son côté la main d'oeuvre banale, une partie des matériaux, la préparation du terrain et le forage du puits de 20 m.

    A ce jour, Bafana Bafana a remboursé 37 % de son emprunt. Gageons que le reliquat ne tardera guère.

    Alain Cavelier